… pour peu que l’on accepte cette dernière idée, l’on deviendrait très certainement la personne la plus désirable du monde… Ceci dit, jouer aux apprentis Prométhée peut s’avérer dangereux comme l’a si bien narré Herbert Georges Wells en 1896. Dans l’île du Docteur Moreau on voyage à la frontière entre l’humanité et la bestialité. Ce livre a tout d’abord le mérite de nous faire remarquer la minceur de cette frontière. On le savait déjà, l’Homme peut très rapidement basculer dans la bestialité, retourner à ses bas instincts, les plus primaires… nombres de récits, fictifs ou réels nous le prouvent. Mais dans « L’île du Docteur Moreau », on observe une sorte de retournement de la situation. Ici, ce sont les animaux qui basculent dans un humanisme abject.
Lire ce roman c’est tout d’abord se retrouver projeté sur une île perdue dans les mers du Sud. C’est aussi découvrir un univers étouffant et mystérieux car l’on ne sait jamais sur quoi on va tomber lorsque l’on tourne une nouvelle page. Sur cette île il y a un maître, le docteur Moreau, qui règne sur un peuple d’hybride. Ce docteur est, à première vue, le seul ersatz d’humanité de cette île avec, bien évidemment, son acolyte. Mais s’il paraît être tout ce qu’il y a de plus humains en apparence, il cache un lourd secret.
Peut-on, grâce à la science, améliorer les espèces ? Le Docteur Moreau sur son île en est persuadé. Il nous plonge dans un monde effrayant de créatures difformes, à l’apparence insoutenable sur lesquelles il a un pouvoir presque divin. « Divin » n’est pas un vain mot. C’est à Dieu que le docteur joue. Par ses expériences il s’enfonce dans les méandres du transhumanisme. Ici le transhumanisme est poussé à l’extrême. La science en devient une torture plus qu’une évolution. Sur cette île, on y perd la tête. La morale n’a plus lieu d’être. Car l’Orgueilleuse Science Mortifie Et Transforme Itérativement Quelques Ubuesques Espèces.
La morale, l’éthique, jusqu’où peut-on aller pour la science ? Si l’envie vous prend d’ouvrir ce livre, c’est, j’espère, une question qui vous viendra à l’esprit. Car si le transhumanisme peut faire rêver, on voit à quel prix on doit le payer. Qui n’a jamais rêvé de voler comme un oiseau, de courir comme un guépard ou de nager comme un dauphin ? Greffer à l’Homme des aptitudes toutes animalières rendrait ce dernier tellement plus puissant. Rien ne lui résisterait s’il avait la force d’un gorille ou la capacité de régénération de l’axolotl.
Le prix à payer pour cette évolution artificielle qui rendrait Darwin muet de stupeur ? C’est la souffrance. La plus primaire, la plus douloureuse. C’est le sacrifice de nombreuses vies, animales comme humaines. Ces vies doivent être sacrifiées pour la science et cela entraîne la souffrance la plus infâme. Jamais le pauvre Edward Prendick n’oubliera les cris atroces de la panthère torturée au nom de cette sciences aux multiples visages.
Ces multiples visages prennent la forme d’êtres hybrides, qui trébuchent dans les entraves de l’humanité. Mi-homme mi- singe, mi-homme mi- félin… Un tourbillon de mélanges, de souffrances, de contraintes, d’êtres misérables réduit à une vie de douleur, de terreur et d’asservissement. Devant constamment obéir à la loi, celle qui doit les éloigner de leurs anciennes conditions de bêtes. La loi oblige ces êtres pitoyable à marcher comme des Hommes, à se nourrir comme des Hommes ou encore à parler comme des Hommes.
Le roman de H. G Wells questionne le rapport entre l’Homme et l’animal. L’être humain est-il finalement tout en haut de la hiérarchie des espèces ? S’il était aussi évolué, devrait-il jalouser les capacités des animaux qui l’entourent ? Et son intelligence si développée ne s’avilit elle donc pas en se mettant au service de l’asservissement de la nature à des fins aussi égoïstes. « L’île du Docteur Moreau » replace l’Homme dans sa condition. Celle d’une espèce centrale dans le monde dans lequel nous vivons et qui a le pouvoir de changer son environnement, de le transformer.
Mais ce récit montre aussi sa vulnérabilité. L’Homme ne peut éternellement dominer la nature sans le payer. Le Docteur Moreau en a fait l’amère expérience. Il s’est retrouvé lui-même battu par les êtres qu’il avait asservis, mutilés et dressés. La révolte des êtres hybrides est tout d’abord la preuve que la nature reprend toujours le dessus. Mais surtout, dans ce récit, le Docteur Moreau est battu par sa propre création un être mi-homme mi- panthère aux aptitudes trop développées pour être contrôlées. Cela prouve au moins quelque chose : le premier danger pour l’Homme, c’est l’Homme lui-même. Cela me rappelle ce livre, qui a changé ma vision sur le monde, écrit par…
La pitié vient surtout nous bouleverser quand la souffrance trouve une voix pour tourmenter nos nerfs.
H. G Wells
Contraintes d’écriture : Un cylindre en 8 paragraphes, avec un acronyme avec le mot imposé « Cosmétique ». (voir la page « Nos contraintes d’écriture » pour plus d’explications)