Comme un pan du ciel accroché sur le mur, le miroir offrait une vue panoramique sur l’espace, on y voyait tout, des coins les plus secrets aux meubles communs. Sa forme arrondie dans les angles était une lucarne ouverte sur le quotidien, rien ne lui échappait. Il dominait le temps, jamais l’on ne pouvait passer devant lui sans qu’il nous offre ce que le présent a de plus cher, la pesanteur. La pesanteur du temps sur nos visages, la pesanteur du temps sur nos corps pendus à la triste saison des âges.
Il connaissait le reflet de nombreux hommes et de nombreuses femmes. Tous et toutes subissaient toujours son maudit dessein : montrer ce que la nature fait de plus beau, noyé dans l’abomination des chairs. Il parcourait les peaux nues, les habits déchirés, les cheveux grisonnants. Le miroir montrait tout, sans contrefaçon, en s’immisçant dans les plis du corps, dans les cavités organiques. Son regard suppliciait les mortels.
Mais contrairement au portrait de Dorian Gray, il ne prenait pas une ride. Seuls les yeux qui le contemplaient se plissaient inextricablement, jusque l’agonie ; les ridules du front rejoignaient la bouche, de sorte que les visages ne devenaient plus qu’une couche de peau informe, comme une cagoule épidermique.
Quand Loys arriva pour la première fois dans la pièce, son visage fut chahuté par la vision du miroir. Jamais ses traits lui parurent si marqués : en entrant dans son nouveau chez lui, il avait pris quinze ans. Il le savait, le miroir mentait, il ne pouvait pas avoir tant vieilli. Mais qui écouter ? Sa conscience ou le reflet de son corps ? Loys sortit à l’heure du dîner, pour ne plus jamais revenir…