Plénitude amnésique

Je suis debout devant mon tableau blanc
A la recherche...du réalisme ?
Ou peut-être de l'impressionnisme ?
Je ne sais pas, je suis tremblant
Quel outil choisir ? Le pinceau ?
Le couteau ? Jeter l'encre sur la toile ?
Mon cerveau se voile, est-ce un fardeau
De peindre ce tableau ? Lui, déloyal,
Il me nargue de sa blancheur extrême
Quand je le regarde je suis blême,
Condamné à errer dans l'incertitude
De trouver l'idée, l'espoir, l'altitude,
M'envoler dans les couleurs vives..
Ou froides, je ne sais pas quoi faire,
Quelle couleur, tableau ? Du vert olive ?
Je t'en supplie tableau, je bats le fer
Avec toi pour que tu me parles,
Que tu m'ouvres les clés de ton âme
Dois-je commencer par un oiseau ? Un Grand Harle ?
Cet oiseau sait bien plonger dans l'eau
Mais je ne sais pas le peindre, tableau, 
Tu me proposes un paysage ?
As-tu vu mon visage ? Crois-tu
Que je connaisse des marécages ?
Je ne connais ni mers ni rivages
Mon esprit, l’ai-je trop combattu ?
Tableau tu m’ensorcelles, je suis vaincu..
Une idée m’apparaît...comme une étincelle
J'empoigne une craie, imagine des ficelles
Je visualise cette idée et la note :
« Une porte qui s'ouvre sur une morte »
Quelle abomination, moi peindre la mort ?
A quel étage suis-je descendu ?
Tableau tu me susurres « sycomore »
Un arbre ? Tu me perds dans les jardins
Et les parcs, où le soleil frappe les citoyens
Un arbre ? Et pourquoi pas un écureuil
Qui viendrait attaquer un cercueil ?
Non, la mort revient dans mon esprit
Arrête toi tableau, deviens plus joli !
Arrête toi tableau, laisse-moi vivre !
Devant toi je ne suis plus que soupir…
Je dois repartir au début de ma visite :
Réalisme, impressionnisme, symbolisme ?
Si je n’ai pas ça, comment faire la suite ?
Mais mon esprit s’étrique comme un isthme
Où de chaque côté, je peux sombrer
Dans un gouffre de vide. Le miroir me dit
Reprends-toi, concentre-toi, de tous les styles
Tu es avide, ta mémoire est fertile
Reprends-toi, crée la toile de tes envies.
Deviens-je fou ? Le tableau se met à bouger
Je sens la Terre qui accélère ses tours
Aujourd’hui, la gravité s’est fortifiée
Je garde les yeux rivés sur tes contours
Tableau, tu attends encore mes actions
Je te fixe sans détour, tu es ma création
Enfin bientôt, quand j’aurais l’idée
De te remplir d’une scène imagée.
Je te l’avoue : le monde tourne trop
Vite, je dois m’asseoir rapidement,
Un mot s’agite dans mes yeux : « tableau »
Ma persistance rétinienne m’agace
Car tu restes, tableau déplaisant
Je te sens sur ma peau, tu me glaces
Je suis assis, les yeux peureusement clos
Debout dans mon dos, je suis dominé
Par toi, tableau...laisse-moi respirer !
Donne-moi des minutes de repos !
Garder mes yeux clos…garder mes yeux clos…
Non ! Je dois reprendre le travail
Remonter le chevalet d’abord,
Ensuite, se saisir de l’attirail
Sur mon mannequin, je tente une posture
Le bois est pur, mes soucis s’évaporent
Une idée vient heurter ma structure :
Je suis fait pour dessiner des corps,
Alors, je m’imagine signer un chef-d’œuvre
Qui fera naître des émotions neuves
Chez les individus venus m’acclamer.
Mais je dois peindre sur ma toile décousue,
Problème indivisible, tout recommencer,
Combien de corps ma toile peut contenir ?
Comment les disposer sans me mentir ?
Trop de questions essentielles sans réponse
Tableau, le fiel me monte à la bouche
Je te l’annonce, aie peur, je peux être farouche
Mon deuxième couteau n’est pas là pour te peindre
Je l’abats sur ta toile, tableau, il s’enfonce
Dans tes chairs,  et ne vient pas te plaindre,
Toi qui a déchiré ma vie d'artiste.

2 réflexions sur « Plénitude amnésique »

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